Honduras : un mauvais modèle pour le Paraguay ?

24 Mai 2013


Beaucoup ont comparé le coup d’État du Paraguay de juin 2012 à celui du Honduras de juin 2009. Même situation, même résultat. Alors que le Paraguay vient de « démocratiser » le coup d’État de juin dernier par des élections, et que le recul n’est pas suffisant pour savoir si le parti Colorado va jouer le jeu démocratique, zoom sur la situation au Honduras, quatre ans après le coup d’État.


Porfirio Lobo Sosa, président du Honduras depuis le 27 janvier 2010
Quand Fernando Lugo est destitué de son poste de président du Paraguay le 21 juin 2012, les médias et dirigeants sud-américains comme Cristina Kirchner n’hésitent pas à faire le rapprochement avec ce qui s’était passé au Honduras en 2009, et à qualifier l’événement de coup d’État.  Mais cette notion de « coup d’État » est controversée dans les deux pays où l’arbitraire flirte avec l’institutionnel.

En 2009 au Honduras, le président Manuel Zelaya a été élu au sein du Parti Libéral et mène depuis lors une politique de rapprochement avec l’ALBA (l’organisation bolivarienne créée par Chavez). Il déplait au sein même de son gouvernement. On reproche également à Zelaya de vouloir changer la Constitution pour permettre à un président d’effectuer plusieurs mandats. Le 28 juin 2009, il est arrêté par des militaires et expulsé au Costa Rica. La Cour Suprême et le Congrès ratifient sa révocation le jour même. Le président du Congrès Roberto Micheletti promulgue l’état d’urgence et le couvre-feu. La communauté internationale demande immédiatement la restitution de Zelaya au pouvoir.

De violentes manifestations entre « pro » et « anti » Zelaya éclatent, des opposants sont arrêtés au nom de l’état de siège. Malgré l’ultimatum de 72 heures lancé par l’OEA (Organisation des États Américains), le gouvernement de facto maintient sa position et se retire de l’organisation. Entre temps, Zelaya essaye de revenir au Honduras et se réfugie à l’ambassade du Brésil. Le Honduras se retrouve isolé économiquement et politiquement, critiqué tant par Chavez que par les États-Unis. En signe d’apaisement, des élections sont organisées le 29 novembre 2009. Largement boycottées, elles installent Porfirio Lobo Sosa, du Parti National de droite, à la tête du pays. Puis le 28 juin 2011, est signé l’« accord de réconciliation nationale » à Cartagena. Zelaya rentre au Honduras, les accusations contre lui sont levées. Le surlendemain, l’OEA réintègre le Honduras en son sein.

Porfirio Lobo Sosa demeure au pouvoir.

Élections, accord international, fin de crise ?

Au Paraguay, les élections du 21 avril dernier ont ramené au pouvoir le Parti Colorado, parti du dictateur Stroessner, « régularisant » le coup d’État. Elles ont été approuvées par la communauté internationale. Les pays du Mercosur ont décidé de réintégrer le Paraguay au sein de l’alliance économique. Il avait été exclu de l’organisation suite à la destitution de Lugo.
Dans les deux cas, il s’agit donc de présidents de gauche, renversés de manière arbitraire par une partie de leur gouvernement de droite sous couvert institutionnel. Cette situation arbitraire décriée par les organisations internationales est pourtant validée quelques mois plus tard par la tenue d’élections. L’état de fait prime sur l’état de droit, ou plutôt les enjeux politiques cèdent le pas aux enjeux économiques.

Si, au vu des décisions internationales, la crise politique semble être terminée pour les deux pays, la situation du Honduras quatre ans après le coup d’État reste inquiétante. Selon Dina Meza, journaliste qui se bat pour la défense des droits de l’homme, une trentaine de journalistes auraient été assassinés au Honduras depuis 2009. Ils enquêtaient sur les conflits et inégalités agraires, la corruption politique et les narcotrafiquants, des problèmes endémiques dans de nombreux pays sud-américains et particulièrement au Honduras.

Le Honduras détient le triste record du pays le plus meurtrier au monde sans conflit armé déclaré avec 85,5 homicides pour 100 000 habitants, bien devant le Mexique pourtant réputé violent. « Sans conflit armé déclaré », ce n’est pourtant pas le sentiment de la population à en croire la presse hondurienne. La Prensa n’hésitait pas à titrer début mai, « La guerre est de retour à Chamelecón, les maras rompent la trêve ». Car l’une des causes majeures du fort taux d’homicide est la présence des maras, ces gangs armés qui sévissent aux États-Unis et en Amérique centrale, vivant de vols, rackets et narcotrafic. Ces gangs font la loi dans plusieurs régions du Honduras comme autour de San Pedro Sula, la deuxième ville du pays. Des régions de non-droit où l’impôt de guerre est ponctionné aux habitants par les différents groupes rivaux et où la police corrompue et en sous-effectif ne s’aventure jamais. Les maras s’implantent à la faveur de la pauvreté dans un pays où 67 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et 76 % travaille dans le secteur informel.

Le Honduras est aussi l’un des plus gros producteurs de drogues de synthèse. Depuis 2008, le pays subit également la crise économique venue des États-Unis, ce qui aggrave la situation. L’économie du Honduras est grandement tributaire des remises d’immigrés vivant aux États-Unis, source financière qui s’est de fait réduite depuis 2008. Ainsi, alors que le taux d’homicide tend à baisser chez ses voisins centre-américains, il augmente au Honduras.



Une répression qui ne dit pas son nom

Pour autant, les problèmes du Honduras ne sont pas le seul fait des maras. Certains accusent le gouvernement de se cacher derrière le problème des maras pour justifier la violence politique du pays suite au coup d’État. Pour Rosmerlin Estupiñan-Silva, la tactique du gouvernement réside dans l’utilisation « des problèmes sociaux, de la violence des maras et du narcotrafic, ainsi que des problèmes issus des catastrophes naturelles, telles que la période des pluies, comme d’une sorte de rideau de fumée pour masquer la violence politique, la censure, la répression et l’impunité ». Suite à la mort de journalistes, d’opposants et de syndicalistes agraires, les arguments avancés par le gouvernement ont en effet été de dire qu’il n’y avait pas de lien entre leur profession et les circonstances de leur mort et que le gouvernement était impuissant face à la criminalité. Un argument facile pour ceux qui pensent que l’absence d’intervention armée contre les maras est le signe d’un « gouvernement mafieux ».

Sous l’apparente résolution de la crise se cache donc une répression des opposants encore bien réelle aujourd’hui camouflée par la situation catastrophique sur le plan social et économique. Si les institutions internationales ont validé l’état de fait, la situation politique reste tendue dans les deux pays. Zelaya et Lugo se battent aujourd’hui dans le camp de l’opposition dans leur propre pays. Suite aux élections du 21 avril dernier, Fernando Lugo a déclaré qu’il souhaitait rester dans l’opposition, sans recherche de coalition, tout en restant ouvert au dialogue. Zelaya mise quant à lui sur la candidature de sa femme, Xiomara Castro, pour les élections de novembre 2013.

Des situations parmi d’autres qui témoignent de la fragilisation de certaines démocraties alors que le spectre des dictatures latino-américaines que l’on croyait disparu refait lentement surface.



Rédactrice pour le Journal International, passionnée d'histoires et de géographie, je suis… En savoir plus sur cet auteur